La Gestalt thérapie en dialogue fécond avec la phénoménologie : être-avec le monde en présence

Devrions nous parler d’une pluralité d’orientations philosophiques de la phénoménologie qui nourrissent différents courants de pensée et tout autant de pratiques cliniques? Certes, mais nous souhaiterions ici revenir à une phénoménologie « minimaliste » impliquant une conversion du regard à une simplicité pour aborder les choses d’une manière négligée habituellement et les resituer dans leur monde se donnant comme tel. Une phénoménologie de « l’inapparent »[1] , d’une modestie attentive dans l’apparaître à ce qui n‘apparait pas.

Cette intensité d’une attention sensible est au cœur du projet gestaltiste, qui explore  les ébranlements du lien Soi-monde, parfois ineffables et cachés. Le Soi qui décolle chacun de lui-même émerge de cet accordage continu de l’organisme et de l’environnement, donc de la relation au monde et des apprentissages qui se font et se défont.

Cette relation peut s’organiser du côté existentiel, lorsque nous perdons la mobilité fondamentale dans l’habitation de l’espace et du temps à travers des impasses ou des épreuves, dans les situations indépassables.

Notre projet phénoménologique rend compte de l’expérience telle qu’elle est réellement vécue, interroge la possibilité d’un accès pré-objectif à la sphère de l’expérience et l’approche de la vie dans son caractère historique. L’homme éprouve ce qu’est être comme existence, porte en lui la question de l’être dont la charge est exprimée par le mot « souci ». Cette option ontologique qui caractérise l’analytique du Dasein réinterroge profondément notre clinique gestaltiste et notre vision de la psychopathologie.

L’autre dimension structurante est celle de la présence, moment indissociable de l’ouverture au monde. Le lieu désigne la « spatialité de l’homme qui se déploie (…) à même son être-au-monde qui le constitue comme présence »[2], et qui naît du champ de tensions le liant à ce qui l’entoure.

L’espace dans lequel séjourne un client est dit intoné dans la mesure où il a toujours déjà une certaine tonalité affective en rapport avec un monde qu’il configure, auquel le psychothérapeute répondra avec humilité, faisant partie du « tissu qu’il est appelé à guérir »[3].

Tels les « penseurs » –Denker- présocratiques, soyons pris dans un étonnement radical de ce qui est, dans une manière originelle d’éprouver, cherchant à coïncider en silence.

[1] Dominique Janicaud : la phénoménologie éclatée, Editions de l’éclat, Paris, 1998
[2] Henry Maldiney : Regard Parole Espace, Editions du Cerf, Paris, 2012
[3] Gianni Francesetti : tu pleures, j’ai mal, dans Self, une polyphonie de gestalt-thérapeutes contemporains, L’exprimerie, 2016